Je suis entré au PCF par intuition, je le quitte par conviction.
L'intuition communiste
Convaincu de la nocivité du système capitaliste tant pour l'Homme que la planète, et de la nécessité impérieuse de bâtir une alternative à cette organisation de l'économie et de la vie sociale, j'ai souhaité m'engager dans le champ politique.
Je me suis un peu documenté, j'ai pris contact avec différentes organisations, et j'en ai conclu que seuls les communistes avaient réellement cette ambition de changer le monde, en agissant concrètement aujourd'hui tout en proposant une vraie alternative. J'ai donc rejoint le PCF à l'été 2005.
L'étonnement
Congrès, collectifs, assemblée extraordinaire, etc... le PCF a traversé depuis une période quasi continue de débats internes profonds. Pendant toutes ces réunions, la plupart des intervenants se demandaient... ce qu'était le communisme (du 21ème siècle ou pas), et quel pouvait bien être notre proposition pour le monde d'aujourd'hui. Plusieurs fois je me suis pincé : étais-je bien au Parti "Communiste" ?
Pour moi c'était pourtant simple : si le capitalisme c'est l'exploitation maximale des ressources et des hommes par une classe qui s'est appropriée le capital, c'est-à-dire les moyens de production, alors le communisme c'est l'abolition de cette exploitation grâce à un système économique fondé sur l'appropriation sociale des moyens de production et d'échange, et tourné vers la satisfaction des besoins des populations. Et le PCF doit revendiquer cet objectif qui doit structurer toute son action.
J'ai lu pour m'en assurer. Les anciens (Marx : "il faut faire la révolution économique en permanence, faire du communisme maintenant !") et les communistes "labellisés" bien sûr, mais aussi les nouveaux et les autres pour constater que la pensée communiste existe bien, qu'elle est riche, vivante, foisonnante, et que toute la matière première est là. L'excellent "Du capitalisme au communisme" de Christian Brochant. Le très détaillé "L'appropriation sociale" de la Fondation Copernic. L'étonnant "Après le capitalisme" du nord-américain Michael Albert. Tout ce qu'inventent et mettent en pratique les zapatistes pour organiser l'économie et les services publics par et pour les citoyens.
Les réponses existent donc. Avec quelques camarades, avec nos petits moyens bien limités par rapport à toutes les têtes pensantes de Colonel Fabien, nous avions ainsi rédigé l'année dernière un document présentant ce que pourraient être aujourd'hui les propositions communistes dans le domaine de l'économie.
Alors comment expliquer cette désertification idéologique apparente d'une grande partie des adhérents du PCF ?
La désillusion
Cette amnésie collective n'est pas un hasard. Elle est une conséquence. Celle du refoulement de l'idéal communiste organisé depuis des années par l'appareil du PCF pour assurer la "respectabilité" du parti et sa compatibilité avec le Parti Socialiste, allié obligé de la direction du PCF pour "sauver les meubles" à chaque élection.
Cette stratégie trouve son point d'orgue dans le 34ème congrès qui se prépare actuellement.
Le projet de plate-forme politique ("base commune") adopté cette semaine par près de 61% des adhérents est un texte désemparé, sans perspective, pâle copie mal réécrite de ce que développe avec beaucoup plus de talent Jean-Luc Mélenchon, qui représente l'aile gauche du PS (tendance organisée sous le nom de "PRS").
Aucune remise en cause fondamentale du capitalisme. Aucune perspective d'une organisation alternative des rapports de production, par l'appropriation collective des moyens de production et d'échange. Juste un "nouveau mode de développement".
Cette proposition a toute sa place sur l'échiquier politique, mais je ne vois pas ce qu'elle a de communiste, même si le mot est conservé. C'est du communisme "canada dry". Si ce capitalisme régulé et gentil représente effectivement le projet politique qu'ils souhaitent porter, j'invite les camarades qui ont choisi ce texte à rejoindre en masse PRS, ils s'y sentiront très bien et ce sera beaucoup plus efficace pour atteindre cet objectif.
Le PCF meurt de ne plus oser être communiste. Il ne propose plus de projet clairement identifié. Les électeurs ne s'y trompent pas, les résultats en chute libre en attestent. Ainsi que la baisse dramatique du nombre d'adhérents.
Il reste des communistes au PCF !
24% des adhérents ont pourtant soutenu notre texte alternatif "Faire vivre et renforcer le PCF – une exigence de notre temps", clairement communiste, et ce malgré toutes les manœuvres de l'appareil du PCF et le "légitimisme" de bon nombre des adhérents. Alors faut-il rester ?
Une image s'est imposée à moi en écoutant et lisant les arguments de mes camarades qui font ce choix : c'est le syndrome de la femme battue par rapport à son tortionnaire ! "Il est gentil quand il ne boit pas" (en dehors des périodes électorales), "Mais je n'ai nulle part où aller !" ou encore "Je sais que je peux le faire changer" (le pire).
Quittons cette analogie (certainement douteuse) pour revenir sur le terrain politique. Au sein du PCF, ces camarades déploient une énergie incroyable pour exister, faire avancer leurs idées, convaincre autour d'eux... mais à l'intérieur du parti ! Au lieu de le faire dans la société ! Objectivement, l'appareil du PCF est devenu aujourd'hui un allié de fait du système capitaliste, en détournant et en neutralisant les forces de milliers de militants.
Je respecte néanmoins leur choix et je me trompe peut-être. Ces militants restent mes camarades, mais pour moi c'est fini, je n'ai plus rien à faire dans ce parti.
Mais je ne regrette pas...
En m'incitant à chercher des réponses pour comprendre ce qu'il s'y passait, le parti m'a finalement rendu "plus communiste". Et ces quelques trois années représentent pour moi une expérience humaine irremplaçable. Elles m'ont beaucoup apporté et appris. Elles m'ont fait grandir un peu, et permis de rencontrer des gens exceptionnels.
Que faire maintenant ?
Jamais il n'a été plus urgent de construire une alternative au capitalisme, de montrer que l'on peut faire autrement. Avec la crise dont la population commence seulement à subir les effets réels, une opportunité historique s'offre à nous.
Dans le champ politique, une nouvelle formation communiste verra peut-être le jour : les communistes sans parti sont aujourd'hui les plus nombreux ! Je ne vois pas bien quand ni comment elle naîtra, mais elle devra renouveler profondément les pratiques politiques, en inventant et en adoptant d'autres modes d'exercice du pouvoir. Les sources d'inspiration existent, qu'il s'agisse des propositions du PCF (si !) pour une 6ème république, écrites par un certain Cohen-Seat (incroyable, le même que celui des "valises de plomb"), mais jamais appliquées au sein même du PCF (et pour cause), ou encore des expérimentations des zapatistes. Il faudra retravailler le rapport aux élections et le rôle des élus, car avoir des élus ne s'oppose pas à une perspective authentiquement communiste, par exemple en impliquant les populations dans la vie publique pour promouvoir l'appropriation collective de la gestion municipale et des services publics (et bon nombre d'élus PCF font un travail remarquable en ce sens).
Mais tout ceci prendra du temps. Par ailleurs, je ne crois pas que le NPA représente une solution (l'agglomération contestataire et hétéroclite des "anti" ne remplacera jamais l'unité dans l'action d'une base militante se battant "pour" un même projet).
Comme je le proposais en décembre dernier, l'urgence est de "combattre concrètement, par la preuve, l'idée qu'il n'y aurait plus d'alternative : nous devons faire du communisme maintenant."
Et le communisme, comme la politique, c'est d'abord de l'économie. Aujourd'hui, l'une des meilleures façons de déstabiliser le capitalisme, c'est donc de prouver dans le champ économique que les solutions capitalistes ne sont pas les meilleures, qu'il en existe d'autres, à la fois plus justes, plus humaines et plus efficaces : ce sont les coopératives (SCOP : "société coopérative de production").
Quelques citations :
- "Les SCOP ont vocation à supprimer le profit réalisé par l'entrepreneur sur le travail".
- "La cause du contrat de société coopérative est la satisfaction des besoins personnels ou professionnels des membres."
- "Les associés de la société coopérative sont les "apporteurs d'activité" (les travailleurs) de l'entreprise coopérative."
- "Le principe de la gestion démocratique implique la souveraineté des usagers (travailleurs associés), l'élection des dirigeants par les dirigés et le fait que l'exercice du pouvoir est attaché, non pas à la part de capital détenue, mais aux seules personnes."
C'est pas du communisme ça ? Et c'est tiré du très austère Guide Juridique des SCOP (620 pages en petites lettres) édité par la très sérieuse Confédération Générale des SCOP.
Je vais donc prendre le risque de quitter mon travail actuel, pour créer une coopérative et m'investir dans le mouvement coopératif français et européen, en contribuant à développer ses dimensions profondément subversives et politiques.
Fraternellement,
Mouton Noir